Chaïm Kaliski
Chaim Kaliski se définit ainsi :
« Je suis né le 25 décembre 1929 à Etterbeek, à Bruxelles. Le destin a ironiquement gardé ce jour en réserve pour ma naissance. Pourtant, Etterbeek n’était pas Bethléem, aucune étoile n’éclairait mon berceau, et aucun Rois Mages ne venait me rendre visite. Pourtant, un bébé juif est né, un « petit Jésus » ou un Josué... Mes parents étaient de jeunes émigrés de Pologne, comme beaucoup d’autres Juifs dans les années 20 ou 30. Mon enfance, mon éducation a été celle de la Belgique nationale et patriotique de l’époque. Mon père était maroquinier et ma mère femme au foyer. Ils avaient une vie dure, fastidieuse... Les temps étaient durs avant la guerre : la crise économique, le chômage massif, les gens de la classe ouvrière qui n’arrivaient pas à joindre les deux bouts, et l’antisémitisme était latent et verbal, du genre : « Les Juifs sont la concurrence, ils mangent notre pain et ce sont des escrocs comme Stavisky, etc. Ou encore : « À louer. Gentils seulement ». Quand la guerre a éclaté, nous avons trouvé refuge dans le Sud de la France. Puis nous sommes revenus en Belgique occupée - nous nous sommes précipités dans la gueule du loup. Je suis retourné à l’école catholique. À l’époque, les forces d’occupation allemandes soumettaient les Juifs à des vexations discriminatoires. Nous nous souvenons tous des « Flüchtlinge » Juifs autrichiens et allemands qui nous mettaient en garde contre les nazis, en 1938 et 1939... En septembre 1941, un couvre-feu est imposé aux Juifs : personne dans les rues après huit heures du soir. Mais la persécution a vraiment commencé en été 1942 : le port de l’étoile jaune. À partir de l’âge de 10 ans, je n’avais plus le droit de retourner à l’école. Je ne finirais jamais l’école primaire. Et le début du mois de septembre a été un cauchemar. Je n’oublierai jamais le 3 septembre, quand Cureghem, la Jérusalem juive d’Anderlecht, a été verrouillée. Pas moyen d’en sortir. Je me souviens encore des gens qui criaient, qui hurlaient et du bruit des moteurs des camions. Je visualise encore les lumières dans l’obscurité de cette nuit effrayante. Ma rue (rue du Docteur de Meersman) a été miraculeusement épargnée. Mon frère et moi étions cachés sous notre lit, tous deux terrorisés. Cette cachette aurait été bien inutile... si les «casques et bottes d’acier» avaient fouillé notre chambre cette nuit-là. Après cette razzia, nous avons quitté Anderlecht, la banlieue du cauchemar, pour trouver un abri à Ixelles, puis un autre à Etterbeek - mon lieu de naissance. Le samedi 12 février 1944, mon père a quitté la cachette et n’est jamais revenu. Il est mort à Auschwitz. Il avait 34 ans. J’ai survécu à cet enfer pour être un garçon désemparé, affaibli. J’étais brisé moralement, physiquement et affectueusement. Plus tard, j’étreignais les murs, je remontais mon col le plus haut possible pour y cacher mon visage, je ne regardais jamais les gens dans les yeux par peur d’être jugé et je détestais les bruits de sonnettes et de pas... Après la guerre, j’étais l’aîné des enfants et je suis devenu le «chef de famille». J’ai dû travailler dans le magasin de cuir pour aider ma famille... Avec le recul, je ne pense pas que le côté sanguinaire de l’homme ait disparu. L’agressivité est toujours présente aujourd’hui, dans une société qui engendre des exclus, des insatisfaits et des aigris. Le cercle vicieux continue encore et encore... Hitler était un homme amer. Il a choisi un peuple qui vivait en Europe depuis plus de 2000 ans, le bouc émissaire malchanceux du mépris chrétien, pour le blâmer, pour le rendre responsable de tous ses problèmes, pour l’exterminer tous. J’ai vécu ces années terribles toute ma vie, et je ne les oublierai jamais. Un demi-siècle nous sépare de cet enfer... Le souvenir... Préserver le souvenir : informer les jeunes générations est un devoir. »
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